Thelia bimaculata mâle (à droite) et femelle

Membracides - complexe Enchenopa binotata

Description:
Plusieurs espèces-hôtes qui, en 2023, n'ont pas encore été reconnues et nommées, sont représentées par Enchenopa binotata, le complexe d'espèces. Elles auraient génétiquement divergé en s'associant étroitement à des hôtes qui ont favorisé leur isolation reproductive.

Les adultes bruns à deux bandes dorsales jaunes sont tous semblables, quelle que soit l'espèce-hôte. Par contre, la couleur et les projections dorsales des nymphes peuvent être très différentes, d'un hôte à l'autre (Pratt & Wood, 1992).
Enchenopa binotata
Enchenopa binotata
Évolution: E. binotata est remarquable, non pas pour sa morphologie ou sa biologie, mais comme sujet d'étude visant à démontrer que la spéciation pouvait être sympatrique. Thomas Wood, au fil de plus de 25 ans de recherches sur E. binotata, a révélé que divers facteurs peuvent entraîner une isolation reproductive et une divergence génétique au sein d'une espèce et mener ainsi à l'apparition d'espèces différentes même si les populations partagent le même territoire (sympatrie).
Hôtes: D'après Wood (1993b), Enchenopa binotata est établi à l'est de l'Amérique du Nord sur huit genres d'hôtes appartenant à six familles: Ptelea (Rutaceae), Juglans et Carya (Juglandaceae), Celastrus (Celastraceae), Liriodendron (Magnoliaceae), Robinia et Cercis (Leguminosae) et Viburnum (Caprifoliaceae). À cette liste Hamilton & Cocroft (2009) rapportent six autres colonies-hôtes observées mais non documentées par Wood.

E. binotata serait strictement monophage sur Ptelea trifoliata (Ptéléa trifolié), Celastrus scandens (Bourreau-des-arbres), Liriodendron tulipifera (Tulipier de Virginie), Robinia pseudoacacia (Robinier faux-acacia) et Cercis canadensis (Gainier rouge). E. binotata est par contre établi sur plus d'une espèce de caryer, de viorne et de noyer. Ces arbres et arbustes présents au Québec sont indigènes, introduits ou plantés comme arbre d'ornement.

Origine du complexe d'espèces Enchenopa binotata
L'ancêtre d'Enchenopa binotata, jadis polyphage et multivoltin est présumément d'origine tropicale, d'après Wood & Guttman (1982). Le choix d'hôtes à feuilles caduques sur lesquels l'espèce s'est établie en Amérique du Nord a favorisé l'isolation reproductive, puis l'apparition de nouvelles espèces-hôtes. Les éléments clés de cette spéciation sont les suivants:

-la femelle pond ses oeufs près des tissus vasculaires, sous l'écorce d'un arbre ou d'un arbuste.

-l'oeuf desséché hiberne et sort de dormance avec la montée de sève qui survient, pour chaque hôte, à des dates différentes. En conséquence, les oeufs n'éclosent pas au même moment.

-le développement des colonies-hôtes est désynchronisé et les adultes atteignent leur maturité sexuelle à des moments différents.

-E. binotata est plutôt sédentaire sur son hôte. La femelle s'accouple une seule fois, contrairement au mâle, à faible longévité et qui dispose de peu de temps pour aller s'accoupler avec les femelles des hôtes différents du sien, qui atteignent leur maturité à un moment différent. De là, l'isolation reproductive.

D'après Wood (1993a), les conditions essentielles requises à l'évolution d'E. binotata en différentes espèces sont: l'univoltisme (génération annuelle unique), la ponte dans les tissus vasculaires d'hôtes à feuilles caduques, la synchronisation élevée des cycles de vie, les femelles qui s'accouplent une seule fois et la faible vagilité (tendance à se déplacer).
Enchenopa binotata femelle
Enchenopa binotata femelle, 23 septembre, près de sa ponte sur la Viorne flexible (Viburnum lentago).
Différences entre les espèces-hôtes
Les adultes des espèces-hôtes sont semblables. Toutefois, les éléments suivants diffèrent suffisamment pour être mesurés ou observés: la forme et la composition de la masse d'écume couvrant leurs oeufs (Wood, 1980), la couleur et les projections dorsales des nymphes (Pratt & Wood 1992) et le type des vibrations émises par les mâles pour attirer les femelles (Rodríguez et al., 2004).

Test de fidélité à l'hôte de naissance
Wood (1980) a installé dans une cage de 1,2 mètre carré les hôtes suivants: Bourreau-des-arbres, Gainier rouge, Noyer noir, Ptéléa trifolié, Robinier faux-acacia et viorne. 50 mâles et 50 femelles capturés sur chacun de ces types d'hôtes, ont été mis en cage et observés à toutes les heures ou heures et demie, de 8 h à 21 h, du 13 juin au 31 août 1977. Chacun des 600 individus était identifié par un code de couleur l'associant à son hôte de naissance. Wood a constaté que, malgré la proximité extrême des hôtes et des individus, le choix d'un partenaire pour la reproduction ainsi que l'hôte choisi par la femelle pour pondre étaient notablement associés à l'hôte correspondant à celui de la naissance.
Enchenopa binotata face
Pontes
Pontes sur un hôte d'adoption: fidélité et viabilité
Wood & Guttman (1983) ont capturé des femelles provenant de six hôtes différents (Bourreau-des-arbres, Gainier rouge, Noyer noir, Ptéléa trifolié, Robinier faux-acacia et Viorne à feuilles de prunier). En liberté, celles-ci avaient déjà commencé à pondre sur leurs hôtes respectifs. Les auteurs les ont confinés dans une cage en présence d'hôtes différents de celui de leur naissance. À part le Gainier rouge, universellement accepté comme hôte d'adoption, les femelles refusèrent de continuer à pondre sur la plupart des hôtes offerts, sauf s'il correspondait à celui de leur naissance. Le nombre de pontes était moins élevé sur les hôtes d'adoption.

Le printemps suivant, le nombre de nymphes et leur taux de survie sur les hôtes d'adoption étaient plus petits. Par exemple, les pontes par Enchenopa-noyer sur le noyer ont donné 113 nymphes avec un taux de survie de 17%. Par contre, les pontes par Enchenopa-noyer sur le Gainier rouge, un hôte d'adoption, ont donné seulement neuf nymphes et aucune n'a survécu.
Enchenopa binotata dos
Décalage des éclosions et isolation reproductive
Le site de ponte est, pour tous les hôtes sauf le Gainier rouge, une tige d'un diamètre mesurant entre 2,8 et 4,9 mm (Wood, 1980). La femelle insère son ovipositeur sous l'écorce de la tige et y dépose quelques oeufs en contact avec les tissus vasculaires de l'hôte. Ces derniers, au printemps suivant, permettront la réhydratation des oeufs qui se seront desséchés durant l'hiver (Wood et al., 1990). La montée de sève des divers hôtes où se sont établis les E. binotata du complexe d'espèces ne se produit pas au même moment. Les oeufs éclosent alors à des périodes différentes et en conséquence, la maturité sexuelle des adultes est décalée d'un hôte à l'autre, favorisant ainsi l'isolation reproductive par hôte.
Écume couvrant la ponte: protection et pouvoir d'attraction
Enchenopa binotata est le seul Membracide en Amérique du Nord à couvrir ses oeufs d'une substance protectrice (Wood, 1982). Blanche, à l'allure d'écume et étalée en cordons réguliers sur les incisions pratiquées dans l'écorce de la tige, elle protège la ponte des prédateurs. Plus remarquable encore, elle contient une substance qui attire les femelles du même hôte et les incite à pondre à proximité de pontes existantes. On observe alors souvent une lignée de petites masses écumeuses qui se chevauchent parfois. Au printemps suivant, grâce au synchronisme des éclosions, le grand nombre de nymphes en présence sur une tige aurait, d'après Wood (1982), un plus grand pouvoir d'attraction des fourmis et, par la protection qu'elles assurent, un meilleur taux de survie des nymphes.

Décalage diurne des pontes et fidélité des femelles à leur hôte
Wood (1980) a observé qu'entre 68 et 90% des femelles sur le Bourreau-des-arbres, le Gainier rouge, le Ptéléa trifolié ou les viornes pondent le matin, et de ces hôtes, les femelles des viornes sont les seules à pondre parfois en après-midi. 57% des femelles du Robinier faux-acacia pondent en soirée. En captivité, des femelles en présence des divers hôtes du complexe Enchenopa ont choisi massivement voire exclusivement de pondre sur un hôte correspondant à celui de leur naissance (Wood, 1980).
À l'aide de son ovipositeur, la femelle pratique des incisions en deux rangées côte à côte. Plusieurs oeufs sont insérés dans chaque incision. La ponte est ensuite couverte d'écume protectrice.
Enchenopa binotata sur Robinier faux-acacia Enchenopa binotata ponte Robinier faux-acacia Enchenopa binotata ponte Robinier faux-acacia
Ci-dessus des pontes sur le Robinier faux-acacia à la fin de septembre et au début d'octobre. Les masses d'écume sur le robinier sont étroites et allongées alors qu'elles sont ovales et allongées sur le caryer et le noyer (Pratt & Wood, 1992).
Enchenopa binotata ponte Viorne lentago Enchenopa binotata ponte Viorne lentago Enchenopa binotata ponte Viorne lentago
Ci-dessus des pontes sur la Viorne flexible, fin septembre 2023. Les masses d'écume sont arrondies sur les Bourreau-des-arbres, Gainier rouge, Ptéléa trifolié, Tulipier de Virginie et viornes (Pratt & Wood, 1992). 25 septembre. Une femelle était tout près des pontes.
Les masses d'écume observées à l'automne 2023 ont plus ou moins persisté jusqu'au mois de mai 2024. Durant l'hiver, les intempéries, écureuils de passage ou petits prédateurs ont effrité la couche protectrice appliquée par les femelles, révélant les incisions pratiquées par l'ovipositeur dans le bois des branches. Aucune nymphe n'a été observée près des pontes mais plutôt sur quelques viornes, à l'extrémité des tiges tendres de l'année.

Photos à droite: des masses d'écume déposées en septembre et observées à la fin mai de l'année suivante.
Enchenopa binotata ponte Viorne lentago Enchenopa binotata ponte Viorne lentago
Nymphes
La couleur et les projections dorsales des nymphes associées aux hôtes du complexe d'espèces sont différentes. Pratt & Wood (1992) ont publié une clé des stades V. On trouvera des photos sur BugGuide de nymphes de divers hôtes, par exemple: Noyer noir (Juglans nigra), Gainier rouge (Cercis canadensis) et
Ptéléa trifolié (Ptelea trifoliata).

Complexe Enchenopa binotata sur la Viorne flexible (Viburnum lentago), nymphes au stades III.
Enchenopa binotata nymphes Viorne lentago Enchenopa binotata nymphe stade III Enchenopa binotata nymphe stade III
Ci-dessus, une observation faite en 2010. L'espèce a persisté sur les Viornes flexibles jusqu'à leur redécouverte sur le même groupe d'arbuste en 2023. Ces nymphes sont au stade III. Nymphe au stade III.
Complexe Enchenopa binotata sur la Viorne flexible (Viburnum lentago), nymphes aux stades IV.
Enchenopa binotata nymphe stade IV Enchenopa binotata grégaires Enchenopa binotata et miellat
Stade IV. La nymphe n'a pas encore de projection qui s'avance au-dessus de la tête.La couleur des nymphes varie: brun noir, rousse ou grise.Stressée par la caméra, la nymphe expulse une goutte de miellat.
Enchenopa binotata et fourmiEnchenopa binotata nymphes stade IV
Les fourmis sont généralement présentes auprès des nymphes, surtout si elles sont nombreuses.
Complexe Enchenopa binotata sur la Viorne flexible (Viburnum lentago), nymphes aux stades V et adulte.
Enchenopa binotata nymphe stade VEnchenopa binotata nymphe stade VEnchenopa binotata stade V
Les deux nymphes à gauche sont plus jeunes que celle à droite, aux segments abdominaux plus écartés. Une des toutes dernières à avoir été observée dans la colonie, elle a probablement  mué au stade adulte le lendemain de cette observation.
La projection à l'avant de la tête formera la corne au stade adulte. Vers l'arrière, la pointe (→) atteint le segment antérieur de l'abdomen. Elle n'atteint pas l'abdomen au stade IV.

Des dizaines de nymphes, certaines présentées ici, ont été observées du 3 au 26 juin sur un groupe de Viornes flexibles. Pas toutes au même stade de développement en même temps, elles sont disparues à mesure qu'elles muaient au stade adulte. Pourtant seulement deux adultes ont été observés le 25 juin, malgré des recherches assidues.
Enchenopa binotata nymphe stade VEnchenopa binotata adulte fin juin
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